Historique

Les rochers de St. Pierre & St. Paul: de Darwin à COLMEIA, 181 ans de questions

Le 16 Février 1832 le Beagle, ayant à son bord Charles Darwin, arriva en vue des rochers de Saint Pierre et Saint Paul, dans l’Atlantique Equatorial. Darwin a tout de suite compris que ces minuscules rochers émergeant à quelques 1000 km des côtes du Brésil, étaient très différents des autres îles ou îlots volcaniques. Comme il a consigné sur son journal au sujet de la nature des roches formant les îlots : « Its mineralogical constitution is not simple; in some parts the rock is of a cherty, in others of a felspathic nature, and in the latter case it contains thin veins of serpentine » (Darwin, 1839). Et il écrit quelques années plus tard  “It is composed of rocks, unlike any which I have met with, and which I cannot characterize by any name, and must therefore describe. The simplest, and one of the most abundant kinds, is a very compact, heavy, greenish-black rock, having an angular, irregular fracture, with some points just hard enough to scratch glass, and infusible.” (Darwin, 1844). La nature de ces îlots, émergeant depuis les grandes profondeurs de l’océan, l’intriguait profondément. Et elle a continué à intriguer les chercheurs depuis.  Des travaux effectués sur les rochers eux mêmes et sur certaines parties de la ride sous-marine dont ils forment la partie émergée ont confirmé l’hypothèse de Darwin (Melson et al., 1967 ; Hékinian et al., 2000). Les rochers ne sont pas de nature volcanique, mais constituent le seul exemple de péridotites émergeant au milieu de l’océan. Plusieurs hypothèses quant à l’origine de ces rochers ont été émises. Jusqu’à présent, l’absence de données de géophysique, notamment de bathymétrie, ainsi que d’un échantillonnage suffisamment dense sur le plancher océanique autour des rochers a empêché les scientifiques de comprendre les processus responsables de la formation de ces rochers qui ont tant intrigué Darwin au milieu du XIXème siècle.

Le 24 janvier 2013, presque 181 ans après l’escale du Beagle sur les rochers de St Pierre St Paul, la campagne COLMEIA, à bord de L’Atalante, est partie de Recife avec pour objectif d’étudier cette partie de la lithosphère de l’Océan Atlantique Equatorial. Parmi les nombreuses questions scientifiques du projet, comprendre l’origine des rochers et leur lien avec la zone transformante de St. Paul et la dorsale Médio-Atlantique, en était l’une des plus centrales. Pendant la campagne, nous avons obtenu des données de géophysique sur 4400 miles nautiques, dont 2100 miles de profils de sismique réflexion, effectué 33 opérations de dragage avec beaucoup de succès ainsi que 15 CTDs dont l’objectif était de découvrir des panaches hydrothermaux. Cinq hydrophones autonomes ont été mouillés dans le canal SOFAR et seront récupérés en 2014. Avec le réseau d’hydrophones, nous espérons étudier la distribution de la sismicité dans la zone et ainsi avoir des renseignements essentiels sur les processus tectoniques et magmatiques actifs. L’Atalante est retourné à Recife le 28 Février. Les données acquises sont spectaculaires et nous intriguent autant que les observations des rochers ont intrigué Darwin.

Carte de la zone couverte lors de la campagne COLMEIA à bord du navire océanographique L'Atalante. Les couleurs indiquent la profondeur du plancher océanique. Les cercles rouges, jaunes et verts montrent la localisation des sites de dragage de roches, de bathysondes et de mouillage d'hydrophones.
Carte de la zone couverte lors de la campagne COLMEIA à bord du navire océanographique L’Atalante. Les couleurs indiquent la profondeur du plancher océanique. Les cercles rouges, jaunes et verts montrent la localisation des sites de dragage de roches, de bathysondes et de mouillage d’hydrophones.

Nos données ont montré que le système transformant de St. Paul est d’une grande complexité, avec trois segments de dorsale de petites dimensions et très profonds. Ces segments « intra-transformant » témoignent d’une grande variabilité spatiale et temporelle dans les processus de formation de la lithosphère océanique. Mais le résultat le plus surprenant concerne la nature du massif de péridotites de St Pierre-St. Paul. Le massif est en réalité la partie la plus haute d’une zone cisaillante de grandes dimensions, au milieu de laquelle se trouve la faille transformante nord du système de St. Paul. Dans cette zone cisaillante des roches très déformées ont été échantillonnées, des mylonites et des ultra-mylonites, résultant de la déformation de roches du manteau à grande profondeur sous le plancher océanique. Le massif lui-même s’élève depuis les profondeurs d’environ 4000 m jusqu’au niveau de la mer. Des indices de compression ont été identifiés au niveau de cette zone cisaillante ainsi qu’ailleurs, dans des portions du système transformant censées être inactives. Il est donc très probable que des efforts compressifs soient à l’origine de ces rochers si atypiques. Le travail sur les données ne fait que commencer…

Ce projet est une collaboration entre la France et le Brésil, à qui appartiennent les rochers de St. Pierre St. Paul. Et pour citer Darwin, encore une fois : « Is not this the first Island in the Atlantic which has been shown not to be of Volcanic origin? » (Darwin, 1832)

Références

Darwin, C. R., 1832. Geological diary: St Pauls (2.1832) CUL-DAR32.37-38  Transcribed by Kees Rookmaaker, edited by John van Wyhe. 2002. The Complete Work of Charles Darwin Online. (http://darwin-online.org.uk/)

Darwin, C. R. 1839. Journal of researches into the geology and natural history of the various countries visited by H.M.S. Beagle. London: Henry Colburn.

Darwin, C. R. 1844. Geological observations on the volcanic islands visited during the voyage of H.M.S. Beagle, together with some brief notices of the geology of Australia and the Cape of Good Hope. Being the second part of the geology of the voyage of the Beagle, under the command of Capt. Fitzroy, R.N. during the years 1832 to 1836. London: Smith Elder and Co.

Hekinian, R., T. Juteau, E. Gracia, B. Sichler, S. Sichel, G. Udintsev, R. Apprioual & M. Ligi, 2000,Submersible observations of Equatorial Atlantic mantle: The St. Paul Fracture Zone region.Marine Geophysical Researches 21: 529-560.

Melson, W.G., Jarosewich, E., Bowen, V.T. and Thompson, G., 1967, St. Peter and St. Paul’s Rocks: a high temperature mantle-derived intrusion: Science, 155: 1532–1535.